La TVA et la Paix

Le 1er janvier 2025 les règles de l’exonération de la TVA pour les micro-entrepreneurs ont changé. Ces règles permettent aux micro-entrepreneurs dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à un certain montant de ne pas facturer la TVA, ce qui leur permet de fixer des prix plus bas que la concurrence et d’avoir une gestion simplifiée de leur activité.

C’est en soi une réforme classique qui passe par une loi de finance 2024 votée à la fin de l’année 2023. Mais cette réforme a une nature particulière, elle ne vient pas de nous, nous la France j’entends.

Mais d’où vient-elle alors si ce ne sont pas les intérêts de l’économie française qui l’ont motivé ?

Elle vient d’un intérêt plus vaste que le territoire français, celui du territoire de l’Union européenne. Le territoire de 27 États précisément. Plus de la moitié du nombre d’États fédérés des États-Unis d’Amérique.

Ces États ont des réalités culturelles et économiques très différentes : la Finlande au nord, l’Espagne à l’ouest, la Grèce au sud, la Roumanie à l’Est et 23 autres pays au milieu.

Ces États se sont déchirés pendant des siècles sur ce continent européen lors de guerres atroces et ininterrompues. Et puis le 21 août 1849, il y a 175 ans, Victor Hugo s’est levé lors du Congrès de la société des amis de la paix pour prononcer ces mots : « Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par le vénérable arbitrage d’un grand Sénat souverain, qui sera à l’Europe ce que le Parlement est à l’Angleterre, ce que la Diète est à l’Allemagne, ce que l’Assemblée législative est à la France… »

 Victor Hugo n’est pas seulement un artiste engagé lorsqu’il prononce ce discours, il est aussi député à l’Assemblée nationale sous la présidence de Louis-Napoléon Bonaparte. La réalité de la France l’horrifie. Il interpelle les autres députés un mois avant en leur faisant un triste constat : « Ces jours-ci, un homme, mon Dieu, un malheureux homme de Lettres, car la misère n’épargne pas plus les professions libérales que les professions manuelles, un malheureux homme est mort de faim, mort de faim à la lettre, et l’on a constaté, après sa mort, qu’il n’avait pas mangé depuis six jours ». Il continue en réclamant « l’abolition de la misère » et en leur rappelant : « vous n’avez rien fait, j’insiste sur ce point, tant que l’ordre matériel raffermi n’a point pour base l’ordre moral consolidé ! »

Victor Hugo n’est pas un utopiste, il sait que pour que la misère disparaisse, il est nécessaire qu’une paix durable s’établisse en France. Et il sait aussi que la condition de la paix n’est pas seulement une entente cordiale avec les pays voisins, mais une réelle Union entre tous les pays d’Europe : « extinction de la misère au dedans, extinction de la guerre au dehors ». Lorsqu’il prononce ce discours, cela fait 32 ans que la paix dure sur le territoire français. Depuis 1815 précisément. Le 8 juillet 1815 prenait fin la guerre qui opposait la France à 7 pays européens : le Royaume-Uni, l’Espagne, la Russie, la Prusse, la Suède, l’Autriche, les Pays-Bas. Mais il ne resterait plus que 21 ans de paix après ce discours. La guerre franco-allemande de 1870 fait des ravages. La France attaque l’Allemagne. La France perd. L’Empire français chute. L’Empire allemand est proclamé.

43 ans plus tard l’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie et par le jeu des alliances entre les pays européens, un conflit éclate. Le conflit le plus meurtrier que l’Humanité ait connu, au point où plus tard on le nommera la première guerre mondiale.

Puis une autre guerre, celle qui a laissé une marque indélébile sur l’âme du Monde. Une guerre qui a, elle aussi, débuté en Europe et qui a étendu son carnage au monde entier. Mais quelque chose change à la fin de cette guerre. Au lieu de se réunir pour imposer un équilibre des puissances comme lors du Congrès de Vienne de 1815, des hommes représentants des États vainqueurs invoquent une réconciliation des peuples. Konrad Adenauer en 1946, représentant de l’Allemagne détruite et occupée, ne réfléchit pas à une vengeance. Il parle de l’établissement d‘une « communauté des peuples européens » où « dans laquelle chaque peuple fournit sa contribution irremplaçable, insubstituable à l’économie et à la culture européenne, à la pensée, la poésie, la créativité occidentales ».

En 1950 Jean Monnet, chargé par le général de Gaulle du plan pour relancer l’économie, constate que l’Allemagne se relève beaucoup plus vite que la France. Il se met à craindre que les vaincus ne soient à nouveau tentés par une revanche. Il travaille alors en secret sur un projet de mise en commun du charbon et de l’acier, les matières premières principales de l’industrie de guerre. Le 9 mai 1950, il inspire Robert Schuman, ministre français des affaires étrangères, à prononcer un discours où il propose de mettre en commun ces ressources entre la France et l’Allemagne dans une organisation ouverte aux autres pays d’Europe. Ce discours quasi-révolutionnaire provoque un véritable sursaut psychologique et emporte la conviction des peuples européens.

Jamais auparavant on avait imaginé une communauté d’États mettant en commun des ressources et se privant de la possibilité d’attaquer ses voisins. Cent ans auparavant, Victor Hugo s’affligeait des dépenses effectuées par la France : « Messieurs, la paix vient de durer trente-deux ans, et en trente-deux ans la somme monstrueuse de cent vingt-huit milliards a été dépensée pendant la paix pour la guerre ! ». Cette quantité colossale d’argent dépensée pour préparer une guerre était de l’argent qui n’était pas dépensé « à l’intelligence, à l’industrie, au commerce, à la navigation, à l’agriculture, aux sciences, aux arts ». C’était de l’argent perdu et un abandon du bien-être du peuple.

En 1951, la France perd la pleine souveraineté de son industrie d’armement en se rendant dépendante de 5 autres États. Un tout nouvel espace de libre échange économique entre les plus grandes puissances mondiales apparaît. De Communauté européenne du charbon et de l’acier entre 6 pays (l’Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas), cet espace devient la Communauté économique européenne en 1958, pour devenir l’Union européenne en 1993. 22 pays rejoignent progressivement cette Union.

Aujourd’hui 27 États vivent paisiblement unis et soumis à une réglementation économique commune. En l’espace de 70 ans, la norme est devenue l’unité, au point où le retrait du Royaume-Uni de cette communauté en 2020 provoque un profond émoi chez tous les peuples européens. Il est devenu évident désormais que l’unité est et restera la condition nécessaire à la paix et au progrès.

Mais il est moins évident que cette unité est conditionnée par la liberté du commerce. C’est en effet bien elle qui a permis aux pays affaiblis par la guerre de se redresser et de prospérer comme jamais ils ne l’avaient fait auparavant. L’Union européenne a été dès ses premiers jours un lieu de régulation de l’économie entre des États aux réglementations diverses. Elle a pour mission d’harmoniser ces réglementations pour garantir l’égalité entre les entrepreneurs de ces 27 États.

C’est l’objet de cette réforme de la franchise de la TVA. Le Conseil de l’Union européenne constatait en 2020 que chaque État membre accordait une exonération de la TVA aux petites entreprises, mais seulement si elles étaient établies sur son territoire. Cette exonération n’était pas accordée aux entreprises qui étaient établies dans un autre pays de l’Union. Le Conseil de l’UE décida de mettre fin à cette distorsion de la concurrence qui dissuadait le commerce entre les États. Il leur imposa donc de faire bénéficier de ce régime d’exonération toutes les entreprises peu importe leur origine ! Mais cela nécessitait d’harmoniser les règlementations européennes. Et cette obligation d’harmonisation a été imposée pour 2025.

C’est la raison pour laquelle au 1er janvier 2025, les conditions d’obtention de l’exonération de TVA ont changé. Pour permettre à tous les biens d’être vendus librement partout sur le territoire de l’Union européenne. Bien que pragmatique et peu émouvante, cette réforme est une mesure qui vise au maintien de la paix entre les États unis d’Europe.

Comme le dit Phil Knight, le fondateur de Nike : « lorsque les biens ne peuvent pas franchir les frontières, les soldats le font ».

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