C’est quoi un contrat, wesh ?
Un soir, après une heure de discussion, une étudiante a soudain une épiphanie et me hurle dessus :
« QUOI ! MAIS C’EST POUR ÇA QUE J’AI DÛ PAYER UNE ASSURANCE ALORS QUE J’AI RIEN SIGNÉ ?! ». Eh oui, c’est pour ça.
Aujourd’hui mes chers amis, découvrons ensemble le fait qu’un contrat n’a pas à avoir une forme écrite pour exister et être valide !
Alors d’où vient cette story telling de phrase d’accroche légèrement surjouée ? C’était à une époque de ma vie où j’étais formatrice pour des apprentis gestionnaires de PME. Des jeunes gens à peine sortis du lycée qui souhaitaient croquer la vie à pleine dent mais qui à la place étaient séquestrés avec moi.
J’avais la tâche importante de leur apprendre en quoi consistait un contrat commercial. Alors moi, je me radinais avec mes 5 ans en fac de droit et j’avais la folle ambition de leur expliquer ce qu’est un contrat tout court. Et là, ce fut le drame.
Je les ai perdus.
Si vite.
Oui parce que vous ne l’auriez sans doute pas remarqué si je ne le vous précisais pas maintenant, mais j’aime BEAUCOUP faire des digressions. Je n’ai pas l’envie particulière de faire des explications linéaires et continues. Non.
Donc, quand on imagine un contrat, la culture populaire nous propose la vision d’un parchemin enflammé au bas duquel notre main animée par une force maléfique écrit nos initiales. La petite sirène, bravo vous l’avez aussi.
C’est intéressant et en même temps terrifiant. Mais pas aussi terrifiant que cette dure réalité : un contrat n’a pas à être écrit pour exister. Oui je vous l’ai déjà dit au tout début, mais en neuroscience on a prouvé que l’apprentissage passe par la répétition.
Bon bah alors c’est quoi un contrat en fait, si ce n’est pas un bout de papier avec notre signature en bas ? Je suis ravie que vous posiez cette question ! Un contrat c’est des personnes qui se mettent d’accord sur des obligations. Vous visualisez la franche et virile poignée de main entre deux hommes blancs ? Bah c’est ça un contrat. La rencontre émouvante de deux consentements libres et éclairés pour s’engager ensemble à dire, faire ou ne pas dire ou ne pas faire des trucs.
Mais alors pourquoi écrire dans ce cas, s’il suffit de se serrer la louche pour que magie ! un contrat naisse. Eh bien pour prouver son existence. Eh oui parce que si les deux hommes savent de bonne foi que l’un doit filer son âne à l’autre contre 50 écus, ce n’est pas le cas du shérif du bourg d’à côté. Et si plein de bonne volonté l’autre donne l’argent, embarque l’âne, et voit débarquer le lendemain matin aux aurores la milice urbaine qui l’accuse d’avoir volé ce bel animal qui paissait historiquement dans le pré du voisin, il faudra pas qu’il s’étonne.
Pas de contrat écrit, pas de preuve. Oui, je sais ça sonne tristement moins bien que « pas de bras, pas de chocolat ».
Donc en gros, si on récapitule : à CHAQUE FOIS que vous vous mettez d’accord avec quelqu’un pour vous obliger à faire, ou ne pas faire un truc, vous créez un contrat, génie que vous êtes !
SAUF SI l’objet du contrat est illicite. AH AH oui, c’est pas aussi simple non plus, sinon tout le monde serait juriste et je serais au chômage. Askip illicite ça signifie « qui déroge à l’ordre public ». Oui je sais c’est large. Gardons en tête l’exemple du mari adultère qui avait rédigé un contrat avec sa maîtresse pour avoir des rapports sexuels contre rémunération. Un contrat de prostitution, oui, si vous voulez. Et justement la prostitution était à l’époque prohibée ! Elle l’est toujours aujourd’hui, certes de manière indirecte, mais ce n’est pas le sujet. Eh ben figurez-vous qu’il s’est ramené devant un juge pour se plaindre qu’elle avait refusé de remplir sa part du contrat, alors que lui trop sympa il venait de lui offrir un flamboyant nouveau canapé. Je vous vois sourire, mais c’est une histoire vraie. Le juge l’a regardé de travers et lui a gentiment annoncé que « ce contrat est contraire à l’ordre public » et qu’il était invité à verser ses larmes d’homme fragile ailleurs que dans son tribunal.
Mais alors comment cela se fait que certains contrats ne peuvent pas être valides s’ils ne sont pas écrits ? Eh bah félicitation, vous venez d’assister à la pirouette la plus pratiquée dans le droit français : l’exception à la règle. En effet, ce n’est pas parce qu’il existe des exceptions que la règle est fausse !
Pour m’expliquer, je me tourne vers un exemple voisin : le contrat de mariage. Car après tout Simone de Beauvoir considérait bel et bien le mariage comme une prostitution légalisée.
Bien des gens se sont un jour déclaré leur flamme, et c’était beau. Mais cela ne leur a jamais cependant permis d’accéder aux alléchants avantages fiscaux afférents audit contrat. Pour cela, ils sont contraints de prononcer des phrases toutes faites devant un officier d’état civil sous le regard de deux témoins, puis de signer au bas de plusieurs papiers. Certains se font même prendre en photo en train de signer, histoire d’être sûr de prouver que c’était bien eux. Le romantisme comme on en fait plus.
L’idée là-dedans c’est que certains contrats ont pour objet des obligations plus contraignantes que d’autres. C’est pas bien grave si vous n’avez pas le ticket de caisse de la boulangerie après avoir acheté votre pain. Votre contrat d’achat de baguette bien cuite n’en est pas moins existant et valide. D’autres cependant sont plus complexes et impliquent des engagements conséquents. Prenez le contrat d’achat de bien immobilier. Vous achetez un appartement à 100 mille euros, vous serrez la main du vendeur mais vous n’avez pas visité ledit appartement. Déjà, à mon avis vous devriez être placé sous tutelle parce que c’est pas bien prudent, mais c’est un autre sujet juridique. Donc si on était libre d’acheter et de vendre sans aucun formalisme un bien immobilier, ce serait probablement le chaos. Déjà parce que le montant c’est pas rien, et ensuite parce que les obligations qui naissent de la conclusion du contrat sont EXTRÊMEMENT contraignantes. C’est donc pour vous protéger de votre propre naïveté que le législateur a imposé un formalisme à la validité de ce contrat. Un tantinet paternaliste je vous le concède.
Ce qui nous ramène à mon cours sur le contrat commercial. Je galérais donc à expliquer qu’un contrat n’a pas à être écrit pour exister et que si on l’écrit, c’est pour prouver aux autres qu’il existe. J’ai probablement aussi dû dans ma fougue balancer un « Le contrat est la loi des parties ». En effet la loi s’impose à tout le monde, et le contrat s’impose aussi implacablement que celle-ci uniquement aux gens qui le concluent. Ce qui fait que si vous contestez votre contrat devant un juge, même si clairement le juge n’a rien à voir avec tout ça, il va étudier ce que vous avez eu la drôle d’idée de marquer dedans et considérer son contenu avec autant de respect que si c’était le Code civil. Alors que c’est vous, personne physique de chair et de sang qui l’avez rédigé, pas une assemblée législative élue par le peuple souverain. Décidément il est très sympa ce juge.
Une des étudiantes de mon cours ne s’en est pas laissée conter et le soir-même m’a appelé en visio. Au bout d’une heure de discussion, comme je le disais au début de ce très long texte, elle s’arrête soudainement de parler, laisse passer un silence gênant puis me confie une aventure qui lui est arrivé pas plus tard que la semaine dernière. Son téléphone sonne pendant qu’elle vaque à une occupation, elle décroche et comprend qu’une société d’assurance la démarche. Sauf que son occupation est très absorbante et parce qu’elle est une bonne poire, elle ne raccroche pas au nez de son interlocuteur. Elle reste donc au téléphone, à acquiescer sans écouter, à toutes les questions que lui pose le commercial. Bien mal lui en a pris car quelques minutes plus tard, elle reçoit un email confirmant son adhésion à un contrat d’assurance. Bien sale affaire.
Que s’est-il donc passé ?
Si vous avez bien suivi mon cours magistral, vous avez remarqué que j’ai mis l’accent sur le moyen de preuve de l’existence d’un contrat. Comme je suis malicieuse je ne vous ai parlé que d’un seul des moyens de preuve existant : la forme écrite. Mais il en existe un autre : l’enregistrement vocal.
Vous imaginez donc le déroulement des faits : l’opérateur lui demande si elle consent à souscrire une assurance dont les conditions lui ont été expliquées dans la minute précédente, elle prononce un « oui » qui est enregistré, et emballé c’est pesé, on a la preuve de son consentement à la conclusion d’un contrat. Et c’est légal ! car le montant de l’engagement financier est léger et il est possible de résilier sans frais par la suite.
L’étudiante qui était donc catastrophée par cette pratique, comprend ainsi que aucun de ses droits n’a été violé à cette occasion. Elle a simplement participé à son insu à un processus moderne de simplification de conclusion d’un contrat : pour gagner du temps, pas besoin de faire signer un papier à distance, parce qu’en réalité un papier n’est qu’un moyen de preuve et pas le contrat en lui -même.
J’en arrive donc à devoir conclure ce singulier article. Si vous avez apprécié, peut-être même esquissé un sourire lors de cette lecture et qu’en même temps vous avez appris quelque chose, alors n’hésitez pas à me proposer une nouvelle idée d’article.
Prenez soin de vous et au plaisir de vous recroiser !
